Bons baisers de Chine, signé Mandarine.
D a su présenter aux amateurs de visual kei un J-rock mélodramatique mêlé au metal et à la voix d'ASAGI à l'étendue étonnante. La formation sortait en fin d'année dernière Huang di ~Yami ni umareta mukui~, un EP qui proposait par la même occasion une version internationale améliorée de quatre pistes. Un mini-album représente une telle opportunité d'innovation qu'il serait difficile de la refuser, et il serait toujours intéressant pour le groupe de présenter une ligne d'évolution à une fanbase impressionnante, non ?
Fort de ce constat, Huang di ~Yami ni umareta mukui~, en sino-japonais dans le texte, démarre sur une introduction de musique traditionnelle très zen pour laisser ensuite leur place aux musiciens. L'histoire est celle de Heilong, qui apparaissait déjà dans le single Akaki hitsuji ni yoru bansankai, et on y apprend qu'il est né empereur (Huang di, en chinois). Dans tout le morceau, il se voit comparé à une sorte de Leviathan, plusieurs références au dragon prenant son envol du fond des mers étant présentes. La ligne de basse jouée par Tsunehito avec quelques fills en slap est comme toujours impressionnante pour un acteur issu de l'industrie visual. Accompagnée des riffs puissants de HIDE-ZOU et Ruiza, la mélodie chantée par ASAGI reste sans surprise, car empruntée aux compositions du milieu. Le solo de Ruiza reprend ensuite l'atmosphère introduite par le morceau, lequel se termine sur une structure habituelle.
La suite n'est pourtant pas du même acabit et la formation se laisse aller après un titre de qualité à une piste presque trop banale, dont le thème lyrique prêtait pourtant à développement : Asagi raconte ici l'intrusion d'Eigo, l'espion de Heilong, dans les réserves d'opium de la triade de Shanghai pour y mettre le feu. Guitare rythmique toutes frettes dehors, ligne de basse tout en balade continuelle sur le manche, guitare solo en arpèges à l'arrière-plan, tout est là pour que Makutsuenshuuki vous séduise. Le chant d'ASAGI a beau être tout ce qu'il y a de plus juste, la composition reste hélas limitée à son plus simple appareil. Si le groupe le voulait, il pourrait faire bien plus original. Cela ne va malheureusement pas en s'améliorant, impossible avec Honoo no Kairou de se détacher de l'impression de n'avoir encore, en dehors de ces ambiances traditionnelles variées, qu'une énième ballade déjà entendue ailleurs. L'auditeur pourra en effet constater une forte ressemblance avec Serenade du quintette philharmonique Versailles, qui saluait le départ de son bassiste Jasmine You il y a quelques années vers des cieux plus bleus. La comparaison reste, il est vrai, tout à l'avantage de D. Cette belle ballade pourra donc faire date dans le coeur des fans, mais ne renie pas les standards musicaux du visual pour se détacher du lot. Dommage.
Dès lors, il faut bien se rendre à l'évidence : le mélange de la tradition et de la modernité est la seule grande innovation de cet EP, qui restera sans autre surprise majeure. Le groupe a pourtant un véritable style personnel sur lequel il peut s'appuyer sans honte : Tsunehito est un virtuose de la promenade sur frettes, la guitare rythmique sait imposer sa présence tout médiator dehors, et la partition de guitare en arpèges à l'arrière-plan rajoute autant de Kudos à l'ambiance du groupe. Malgré toutes ces qualités, la critiquabilité de cette production reste donc le chant. Rajoutez à cela quelques growls lâchés ça et là dans Gikyou Souden par un choeur improvisé qui se veut thrash ou heavy, mais parvient tout juste à faire sourire, et n'offre guère de valeur ajoutée à l'album, Ryuugan no Shizuku ne faisant pas mieux. ASAGI se libère enfin des carcans maudits du visual kei à la dernière piste de l'album, Sansuishi, et se met d'équerre à la mélodie traditionnelle en l'ancrant dans l'univers musical de D, afin de mettre fin à l'expérience de la façon la moins brutale possible. Heilong regrette l'absence de son aimée dans ce dernier poème un brin stéréotypé, l'empereur-dragon qui s'élevait jadis estime ne plus avoir sa place dans ce monde. Fin de l'histoire ?
L'International Edition qu'il nous est donnée à écouter propose enfin quatre pistes bonus, loin d'être inédites. Pour se vendre à l'international, le groupe compte ainsi sur l'énergique Night Ship "D", sur la théâtrale Yami yori kurai doukoku no acappella to bara yori akai jounetsu no aria où s'exprime toute la capacité vocale d'ASAGI, et pour finir sur les plus accessibles Dearest you et Sleeper. Il aurait peut-être été intéressant de présenter à la place d'un de ces deux derniers un morceau plus récent, pourquoi pas une face B ?
Huang di ~Yami ni umareta mukui~ est une expérience intéressante partie sur une volonté de fusionner les racines musicales asiatiques et leur bien triste présent, les lignes de chant mélangeant chinois et japonais. Le résultat reste plaisant, mais lasse vite. Forte de musiciens expérimentés, la formation reste trop ancrée à un style qui ne s'en veut pas un et les mélodies peinent à se détacher du lot. Même quand on parle visual, industrie où les compositions sont souvent en manque total d'originalité. Peut-être la faute aux fans qui pardonnent, tels Jésus sorti de l'imagination d'un punk métrosexuel, trop souvent l'erreur voire finissent par l'apprécier, ce qui est bien pire. Agréablement introduit et excellement conclu, cet EP plein de promesses s'égare presque sur du hors-sujet musical dans son développement : là où le format placé entre l'album longue durée et le maxi-single permet de s'évader vers des horizons nouveaux, D prend son parti en présentant à l'auditeur des mélodies extrêmement proches du visual kei qu'il a l'habitude de produire, avec des textes qui auraient mérité une bien meilleure mise en valeur. On pourra commenter d'un sarcastique "Toujours copié, jamais égalé !", mais la routine en matière de musique est un piège à éviter. L'exercice casse-gueule fera plaisir aux fans, et les autres qui ont souhaité croiser leur chemin vont bien rire. La référence dans le milieu n'est certainement pas D, qui parvient bien difficilement à tirer son épingle du jeu. N'est pas Onmyouza qui veut.