MONO a toujours hissé la barre très haut, peu importe l'époque, et ses membres font partie de ces musiciens qui se raccrochent tant au classique qu'écouter un titre isolé revêt du crime de lèse-majesté. C'est avant tout un groupe qui se déguste comme une bonne symphonie, mouvement après mouvement, les potards poussés au maximum, sans quoi l'on manquerait toute la puissance des pianissimo, et ce paradoxe est amplement justifié ! À l'occasion de la sortie de son dernier album en France ce 4 septembre, For my Parents, JaME vous propose de découvrir cette production issue du post-rock. À vos marques ! Prêts ? Play !
La musique de MONO est instrumentale, jamais elle ne s'est appuyée sur le renfort d'une voix et For my Parents ne compte pas trahir cette formule. Pourtant, l'ouverture de cet opus va vous coller au mur dès les premières minutes : l'orchestre en arrière plan y développe une mélodie plaisante, toute empreinte de mélancolie. En plein crescendo, une guitare ouvre le bal en pizzicato, tout en restant au même plan, pour réveiller en douceur le percussionniste. Au moment où il ouvre les yeux et frappe sur son instrument, le son joueur devient distorsion et la guitare vrombit pour forcer votre cœur à s'arrêter de battre pendant un court instant. Embarquer sur ce Legend, c'est partir en première classe vers des hauteurs rarement atteintes : au centre de la pièce, les harmoniques semblent venir de si loin, d'une autre planète, d'une galaxie proche... Et les mélodies qui forment son squelette, la bordée de mesures développée par les violons pour boucler le titre sur quelques notes épiques mêlées d'espoir nous mènent en plein voyage, portés par les ailes d'un orchestre puissant. Les presque douze minutes du morceau finies, Nostalgia reprend le canevas laissé en plein fade-out pour y ajouter son ambiance propre.
Et cela ne s'arrête pas là ! Peu importe si l'architecture est la même, si le calme laisse place au déchaînement des instruments, le frisson est bien là, insistant, prenant d'assaut bras, échine, jambes et s'emparant à la fin de tout le corps. Chaque piste développe différemment la même histoire, en lui donnant à chaque fois une émotion et une dimension nouvelles. MONO fait du MONO et il est absolument impossible d'être rationnel en parlant de ce groupe : si les transitions passent d'une simple coupure de son progressive à une boîte à musique qui lie de son cliquetis un morceau à un autre, le mouvement qui poursuit le travail du précédent fait toujours mouche, réinterprétant dans un souci du détail proche du perfectionnisme le récit laissé en suspens en une allégorie musicale solidement ancrée dans le déroulement de l'album.
Autant Hymn to the Immortal Wind constituait sa plus grande force en reprenant certaines des mesures gravées dans You are There, l'album qui le précédait, autant For my Parents tente d'abandonner le recyclage et de donner cette fois la part belle à l'orchestre, mais en conservant la même progression des guitares piste après piste. Si le post-rock semble un genre rapidement saturé, MONO paraît bien placé pour en faire reculer les limites plus encore, au point d'être à terme estampillé néo-classique plutôt que post-rock. En témoigne Unseen Harbor qui oublie de se vêtir des plus beaux silences qui ont peuplé les œuvres précédentes pour délivrer une orchestration phénoménale en lieu et place de ces moments de doute et de peur, laissant un répit mérité aux Japonais qui semblent bien fatigués du post-rock pour se revendiquer de plus en plus du classique et tenter ainsi une ultime évolution, en laissant aux yeux ébahis du monde une composition des plus complexes et brillantes qu'il ait pu imposer, avec un petit clin d’œil du final de la batterie aux albums précédents de la formation. Il faut également souligner la plus courte des expériences de l'opus, s'étalant tout de même sur huit minutes, qui en est certainement la plus troublante : Dream Odyssey met en avant le piano en imposant un bruit pesant qui rappellera à certains quelques souvenirs de One step more and you die. Ceci afin de fournir le titre où l'orchestre n'est plus qu'accessoire, fond sonore sur lequel le batteur, avec toute la grâce de son instrument, livre son jeu le plus calme et millimétré pour s'arrêter en un crescendo des deux entités, groupe et orchestre plus unis que jamais sur cette colonne vertébrale qui unit les deux parties jumelles de cette symphonie poignante.
Difficile de ne pas en venir aux superlatifs quand on parle d'un groupe qui présente encore une fois un concentré d'émotions en cinquante-cinq minutes bien mesurées. Plus complexe que Hymn to the Immortal Wind, moins pesant que You are There, le post-rock naguère nerveux de MONO se pare d'une voix puissante, celle d'un orchestre maîtrisé mais beaucoup trop présent par rapport aux productions précédentes. Le prédécesseur qui a fortement remué les cœurs il y a trois ans conserve encore l'avantage, mais For my Parents attire l'attention : les émotions qui guident ses pas constituent sa plus grande force. L'évolution de la formation montre une attirance pour la lumière, quand ses premières traces, il y a déjà dix ans, livraient des œuvres à la limite de la claustrophobie. Là où MONO se plaisait à travailler les silences pour faire triompher l'effroi, For my Parents voit nombre de remplissages orchestraux pour offrir davantage d'espace à la musique et, en contrepartie, cacher tant bien que mal les faiblesses d'une composition de guitare répétitive. Mais attention, car à donner trop de liberté à l'orchestre - qui semble ici avoir atteint le point d'orgue de l'omniprésence - MONO pourrait bien perdre en même temps que son identité nombre de suiveurs jusqu'ici fidèles. Néanmoins, les émotions sont si finement travaillées qu'il serait dommage de ne pas sombrer dans le plaisir égoïste de l'écoute prolongée à haut volume, peu importe les avertissements des fabricants de matériel audio.