Nous sommes le 4 novembre 1998 au CBGB's de New York, durant le Digital Hardcore Festival. Un événement de taille se prépare : pour la première fois, Alec Empire, ex-Atari Teenage Riot, le Maître du Digital Hardcore, rencontre Masami Akita, alias Merzbow, le Pape de la Noise Music. Sur scène, les deux hommes vont se livrer une guerre sans merci. L'Ouest contre l'Est. L'Allemagne contre le Japon. Alec Empire Vs Merzbow. Ce soir-là, des spectateurs ont vraisemblablement dû perdre certains de leurs compagnons durant la bataille. 5 ans plus tard, c'est nous, les auditeurs, qui allons perdre nos tympans. Car ce n'est qu'en 2003 qu'Alec Empire décide de ressortir les bandes de ce concert mythique, et de les fragmenter, au marteau et au burin, afin d'en faire naître 19 titres, album qui sera édité sur le label Digital Hardcore Recordings.
Les deux hommes nous livrent ici ce que chacun d’entre eux sait faire de mieux : beats apocalyptiques, samples lancinants, scratches furieux pour Alec Empire, tandis que l'ami Merzbow nous gratifie de ses bombes incendiaires, de ses masses sonores impénétrables, qui déferlent et nous submergent telles le Déluge, sans que le moindre petit temps d’arrêt nous soit octroyé. L'album s'ouvre pourtant gentiment sur une rythmique mid-tempo tandis que de petits grésillements se font entendre au loin : les deux compères sont en fait en train de dégourdir leurs machines. L'échauffement est finalement de courte durée puisque dès le deuxième titre, The destroyer and merzbow, le chaos, l'apocalypse et le Bruit avec un grand B commencent. Et là, le premier constat s'impose déjà : la qualité sonore y est hallucinante pour un live. Le mixage tire admirablement partie des possibilités de la stéréo, si bien que l'offensive arrive de toutes parts. Les titres s’enchaînent rapidement, il n'y a aucun temps mort, les beats se font tantôt mid-tempo, tantôt hardcore, syncopés ou mitraillés, le tout noyé sous un torrent de larsens, de grésillements, de vrombissements, qui nous vrillent littéralement les tympans. L'expérience est entièrement corporelle, on se retrouve immergé et étouffé sous les blocs sonores de Merzbow, alors que les samples et les boîtes à rythme d'Alec Empire nous assaillent et nous transpercent de tous côtés. Ce n’est qu’à partir du seizième titre, Enter the forbidden space, que les charges se calment progressivement, pour ne laisser place, sur le dernier morceau, qu’à mort et désolation. Le beat se fait plus discret, au loin, et un dernier larsen vient clore le tout, avant de laisser place à trois dernières secondes de pur silence, bien méritées après une heure de chaos sonore. La guerre entre les deux hommes est-elle définitivement terminée ? Peut-être pas, parce que l’expérience que procure un tel album, bien que douloureuse, ne demande qu’à être réitérée encore et encore.
Les albums de Merzbow ont cette particularité de toujours demeurer insaisissables, et c’est ce qui les rend si riches. Chaque écoute reste unique, et nous entraîne vers une découverte sans cesse renouvelée. La Noise est sûrement la forme musicale - ou anti-musicale - la plus difficile d'accès, et pourtant, contrairement à toute attente, cet album est loin d’être aussi extrêmiste que d’autres oeuvres du sieur Akita. La participation d’Alec Empire y est sûrement pour quelque chose, en ce sens que ses boîtes à rythmes et ses scratches, sources sonores bien définissables, sont complémentaires aux expérimentations purement abstraites du Japonais. Ainsi, Alec Empire Vs Merzbow, c'est un peu la bataille du "concret" contre l'"abstrait", deux conceptions bien différentes du Bruit, associées ici dans un album qui célèbre la Noise Music à son apogée et qui définit les limites de la musique populaire. Ce Live CBGB's NYC 1998 nous invite à passer au-delà de cette frontière et à faire l’expérience de nouvelles sensations sonores et physiques, et, accessoirement, il est la porte d’entrée idéale au monde mystique de Merzbow.
Tracklist :
1 - The alliance
2 - The destroyer and merzbow
3 - A fire will burn
4 - Nightmare vision
5 - The full destroyer / Merzbow meltdown
6 - The white man destroys his own race
7 - Curse of the golden angel
8 - The predator
9 - Brooklyn connection
10 - Dawn
11 - The slayer calls at night
12 - Blow this thing
13 - 606 : the number of the beast
14 - 202 lightyears from home
15 - Shock treatment for corporate control
16 - Enter the forbidden space
17 - A degenerated nation reacting to fear
18 - A degenerated nation reacting to fear pt. II
19 - Some might even die