Angel'in Heavy Syrup. Quelles images peut bien susciter un groupe au nom si généreux ? Un bain de liqueur tiède et sirupeuse, enivrante et exhalant des parfums d'Orient entêtants ; une débauche de douceur moîte au goût édulcoré de barbes à papa partagées ; un bonbon interdit à trips ascensionnels orgasmiques offert par des nymphes illuminées au regard cajoleur ; une nuit humide et embrumée de songes d'étoiles à croquer... Angel'in Heavy Syrup c'est un peu tout ça. Un tourbillon de saveurs impossibles à isoler, et parmi lesquelles il est difficile de se dépêtrer. Un monde dans lequel on retourne volontiers pour peu que le voyage ait fonctionné.
Angel'in Heavy Syrup est un groupe formé en 1990 à Osaka, par Mineko Itakura au chant et à la basse, Mine Nakao à la guitare, et Yoko Mandrake à la batterie. Les demoiselles signent chez Alchemy Records, le mythique label noise du terrible guitariste Jojo Hiroshige (avec lequel travaille aussi le très dérangé noise-vocalist Masonna, pour que vous situiez le tout), et sortent leur premier album éponyme en 1991, qui sera également distribué aux Etats-Unis sous le label Subterreanean. Epaulées par Jojo Hiroshige, elles signent une musique psychédélique, située aux frontières du folk et du shoegaze, nimbée de noise et de heavenly, et aux influences jazz non négligeables. Une croisière au pays des seventies, hédoniste et bohème.
La première piste, S.G.E. (Space Giant Eye), assez courte, donne le ton avec son intro de sons de cloches candides et sa soudaine explosion de guitares shootées à la distorsion fuzz. Puis on s'enfonce toujours plus dans ces terres hallucinées avec la deuxième piste, Kitto aeru yo, avec laquelle nos trois demoiselles nous prouvent de manière magistrale toute l'étendue de leur talent sur un titre progressif aux incessantes évolutions. La basse, claire et au jeu précipité, qui donne une impression de débouler d'une colline en pente sèche, est bien mise en avant, tandis que la guitare noisy mixée plus en arrière, nous égrène ses notes âpres formant une espèce de cocon impénétrable aux multiples aspérités. Le chant est mélodieux et éthéré, ponctué d'échos qui laissent la voix se répercuter lentement. Le procédé dans son ensemble n'est pas sans rappeler la musique heavenly des Cocteau Twins, alliée aux évolutions progressives typiques du Nursery Cryme de Genesis, alternant comptines enfantines et accélérations soudaines et cruelles, mais terriblement addictives.
Tout a donc été mis en place pour que la musique du groupe soit unique, et d'une qualité surprenante. Cependant, il existe deux problèmes qui viennent considérablement entacher le tableau. Premièrement, le chant d'Itakura n'est pas toujours très juste, ou plutôt devrais-je dire, il n'est pas souvent juste. Cela peut conférer une certaine fragilité et une sensibilité exacerbée à leur musique, et finalement, on s'y fait assez vite, mais c'est vrai qu'un chant plus ajusté aurait été le bienvenu. D'autre part, et c'est là que subsiste le gros point négatif, la basse est bien trop inégale d'un titre à l'autre. Elle peut être très rapide et inspirée, comme dans Kitto aeru yo, ou vraiment affreuse, où trois notes sont imperturbablement répétées selon différentes tonalités. Pour peu, on croirait entendre le fils de votre voisin qui apprend ses gammes depuis une semaine en matant des vidéos de karaoké. Il faut écouter l'insupportable Boku to kankou bus ni nottemimasen ka pour s'en convaincre. Alors pourquoi ce gâchis, quand on se rend compte du potentiel énorme du groupe ? My Dream par exemple, qui clôt l'album, est un titre vraiment fabuleux, sombre, éthéré et mystérieux, mais qui se retrouve encore une fois quelque peu gâché par une basse qui semble victime de l'ensorcellement de Morphée.
Le premier album d'Angel'in Heavy Syrup est vraiment exceptionnel pour un premier disque, même s'il reste inégal et qu'il souffre de problèmes majeurs. Mais il permet tout de même de prendre conscience que nous sommes en face là d'un groupe extraordinaire, bien que capable d'encore mieux. L'album véritablement parfait n'est pas loin, et c'est ce que les trois musiciennes vont s'efforcer de faire par la suite, avant d'y arriver de manière magistrale. Mais ça, on vous en parlera plus tard.
