Chronique

Ryuichi Sakamoto - Beauty

02/09/2008 2008-09-02 12:00:00 JaME Auteur : Jerriel

Ryuichi Sakamoto - Beauty

La world music à son apogée - 9/10

Album CD

Beauty

Sakamoto Ryuichi

A la fin des années 80, Ryuichi Sakamoto ne peut plus passer inaperçu. Du succès des premières heures avec le groupe de musique électronique Yellow Magic Orchestra (YMO pour les intimes), jusqu'aux collaborations avec de nombreux artistes d'envergure internationale, comme David Sylvian du groupe de rock anglais Japan ou avec "l'iguane" survolté des Stooges, Iggy Pop, le compositeur japonais est sur tous les fronts. Mais c'est surtout grâce à sa participation au film Merry Christmas Mr. Lawrence (Furyo dans nos contrées), de Nagisa Oshima, pour lequel il donne la réplique à David Bowie et à Takeshi Kitano, et surtout dont il signe la bande originale (et quelle bande originale !), qu'il obtiendra la reconnaissance escomptée, des deux côtés du Pacifique.

Sakamoto sait maintenant qu'il détient toutes les cartes en main pour frapper une nouvelle fois, très fort, en prouvant ses qualités de producteur, compositeur, et surtout son flair artistique. Accompagné d'une belle brochette de musiciens en tous genres et de nationalités diverses, il va brasser différentes cultures musicales et les synthétiser au sein d'un album, Beauty, qui sort en 1989.

A cette époque, certains avaient déjà oeuvré pour que les musiques ethniques traversent leurs frontières d'origine, pour qu'elles s'adressent dorénavant au plus grand nombre et apportent de nouvelles sonorités à la musique populaire occidentale. En fin calculateur, Sakamoto s'infiltre dans la brèche et propose un métissage dans lequel la musique traditionnelle japonaise est mise en avant, chose qui n'avait encore jamais été faite auparavant. Qu'il soit opportuniste ou non, force est de constater que Sakamoto nous livre ici un album très réussi, original et sophistiqué, qui apporte une touche singulière à l'édifice world music de la fin des années 80.

La première piste, You do me (edit), ne permet pourtant pas d'ouvrir l'album sous les meilleurs auspices. Les rythmes funk/dance qu'elle emprunte sont bien trop typés années 80, et s'ils fonctionnaient à l'époque, ils manifestent maintenant une sérieuse faute de goût, ou plutôt de discernement. Et ce n'est pas le chant de Jill Jones (l'égérie de Prince du moment), qui viendra arranger le coup (bien que je n'aie rien contre elle, ni contre Prince d'ailleurs).

C'est dès la deuxième piste, Calling from Tokyo, que Beauty nous dévoile véritablement ce qu'il a dans les tripes. Pop, empreint de sonorités et de mélodies typiquement japonaises, avec même quelques éléments issus de la musique traditionnelle africaine, Sakamoto signe là un titre très fort, et surtout intemporel.

Et la suite reste du même acabit. Bien que les titres ne se ressemblent pas, tous sont d'une excellente qualité, et surtout tirent profit d'une production extrêmement bien léchée. Les mélodies au synthétiseur restent discrètes, tout en procurant un immense sentiment de plénitude (A Rose est tout simplement sublime). Puis le compositeur japonais s'amuse à brouiller les pistes. Tout en mélangeant sonorités rock et pop, il vagabonde d'une musique ethnique à une autre. Il revisite par exemple le titre des Rolling Stones, We love you (remix), avec percussions africaines et solo de ukulélé (sans oublier la participation de Brian Wilson, le chanteur des Beach Boys !), ou bien explore les musiques hispaniques sur Amore.

Les guests les plus mémorables sont cependant le violoniste indien Shankar, et l'excellent Youssou N'Dour, "l'étoile" de Dakar, qui, et cela ne devait pas être ignoré de l'ami Sakamoto, venaient tous deux de s'illustrer sur la bande originale du film La Dernière tentation du Christ de Martin Scorcese, composée par Peter Gabriel (et là si on devait ne garder qu'un seul disque de world music, ce serait bien celui-ci, tant il est parfait. Chez JaME on est sympa, on vous dit aussi ce qu'il y a de bon hors musique japonaise...). Youssou N'Dour tient d'ailleurs une place de choix au sein de Beauty, en faisant les backing vocals sur plusieurs titres, et surtout en chantant seul sur Diabaram, tandis que l'accompagnent Ryuichi Sakamoto au piano et Shankar au violon. Un must.

Le restant des titres fait la part belle aux musiques japonaises (A pile of time, avec ses exclamations tirées du théâtre traditionnel), et en particulier à celles d'Okinawa, avec ses chants féminins et ses shanshins, ces petites guitares à trois cordes originaires des îles méridionales du Japon (Asadoya yunta, Romance, ou la très belle Chinsagu no hana qui clôt l'album).

Beauty est vraiment un album exceptionnel, qui démontre une nouvelle fois les qualités artistiques de Ryuichi Sakamoto, et que le monsieur sait s'entourer des bonnes personnes pour faire valoir un discours qui lui tient à coeur : celui de promouvoir une nouvelle unité musicale et un synthétisme culturel entre les ethnies. Il signe là un album intemporel (ou presque, You do me semblant trop facile et à jamais tamponnée "années 80") et plutôt novateur pour l'époque, qui a d'ailleurs reçu l'accueil critique et public escompté. Un disque que tous les passionnés de musique japonaise se doivent d'avoir écouté au moins une fois dans leur vie.
PUBLICITÉ

Artistes liés

Sorties liées

Album CD 1989-00-00 1989-00-00
Sakamoto Ryuichi
PUBLICITÉ