Chronique

envy/jesu - Split

24/09/2008 2008-09-24 12:00:00 JaME Auteur : Jerriel

envy/jesu - Split

Collaboration post-rock anglo-japonaise - 6,5/10


© Conspiracy Booking
Mini-Album CD

envy/Jesu

envy

Sorti en juillet dernier au Japon via le label Daymare Recordings, puis aux Etats-Unis sous Hydra Head, le split album d'envy avec jesu était attendu par les fans. envy, ce groupe de hardcore dont les dernières productions s'immisçaient de plus en plus du côté des landes dévastées du post-rock, allait collaborer avec jesu, le projet rock électronique du britannique Justin Broadrick, l'un des co-fondateurs de groupes tels que, accrochez-vous, Napalm Death ou Godflesh. On peut faire pire comme CV. Cette prestigieuse affiche pouvait, théoriquement, donner quelque chose d'assez fabuleux. Il ne faudra cependant pas très longtemps pour comprendre que l'association des deux grands ne donne finalement qu'un split album des plus honnêtes, remplissant tout juste son contrat, celui de nous présenter la complicité de deux groupes aguerris aux sonorités diverses dont le terrain de jeu se trouve être cette fois le post-rock.

C'est aux japonais d'envy d'ouvrir le bal, avec A conclusion of existence, un premier titre somptueux, à des milliers de kilomètres du screamo épique qu'ils ont l'habitude de jouer. Ici, pas de riffs assassins ou d'envolées lyriques, les guitares se font discrètes et ne sont là que pour soutenir la justesse d'une programmation complexe de beats très inspirés et de nappes électroniques évanescentes, qui s'entremêlent et emplissent le champ sonore d'une douce chaleur crépusculaire. C'est sur ce lit de notes cristallines et fuyantes que Tetsuya Fukagawa pose en toute simplicité ses vers, d'une manière récitée, fragile, tandis que le fond sonore se trouve bientôt submergé par de ponctuelles détonations digitales qui s'estompent comme elles étaient arrivées, fugitivement, mais dont le murmure lointain nous apprend qu'elles ne disparaîtront pas complètement. envy commence ici fort, très fort, avec un titre qui n'est pas si éloigné que ça de leur univers habituel, désenchanté mais pourtant perméable aux douces visions d'un au-delà salvateur, dont le rayonnement chaleureux nous invite à suivre les traces. Cependant, les moyens mis en oeuvre sont ici singulièrement différents, et la mise en avant de ces sons synthétiques, orchestrés avec une précision d'orfèvre, vient nous faire entrevoir la direction que prendra sûrement la musique du groupe à l'avenir. Et bien que cela soit difficile à croire, au vu de la qualité du travail que nous fournit déjà d'ordinaire envy, les prochaines productions risquent de surpasser toutes les espérances.

C'est sur ces heureuses considérations, au sujet desquelles aucun ne manquera de spéculer à l'écoute de ce premier morceau, qu'arrive le deuxième titre, A winter quest for fantasy, déjà plus proche des sentiers balisés par le groupe. C'est ici une composition terriblement mélancolique qu'il nous livre, où arpèges en mode mineur et chant désabusé, extrêmement doux, forment une musique simple et sincère, dont la puissance d'évocation nostalgique est certaine. L'agressivité entièrement contenue jusqu'ici trouve un moyen d'expression de manière fulgurante à la fin de la chanson, durant une dernière minute et demie létale, où les coups frappés sur la batterie pleuvent rageusement et où Fukagawa nous crache sans relâche au visage les gueulements étouffés dont lui seul a le secret. A l'issue de cette deuxième piste, il apparaît curieusement que pour une fois, la rage soudaine expulsée, et qui pourtant traverse invariablement l'oeuvre du groupe, n'avait pas lieu d'être, tellement la douceur exprimée lors de la première partie se suffisait à elle-même. Comme si le groupe ne se sentait pas encore totalement prêt à abandonner le hardcore des débuts, dont le côté exaspéré persiste encore et toujours au fil des années malgré l'orientation graduelle vers une certaine rémission. Les deux premiers titres de ce split album confirment définitivement le fait qu'envy est maintenant totalement mature et capable de diriger sa barque vers une musique beaucoup plus apaisée, bien que toujours désabusée, mais empreinte d'un certain renoncement, une certaine fatalité, dont les cris et les accès de violence n'ont finalement plus raison d'être. Car voilà, ce qui est manifeste, c'est que la colère est devenue inutile, elle n'est plus pertinente, et à la fin de A winter quest for fantasy, lâchée comme ça de nulle part, elle en devient même poussive.

Le dernier effort des Japonais, Life cought in the rain, renoue déjà beaucoup plus avec le style présent dans les derniers albums du groupe, à savoir un screamo dont les vociférations sont encadrées par de longues plages contemplatives. La mélodie est toutefois exceptionnellement catchy pour un titre d'envy, enjouée, presque gaie, et on se surprend à en siffloter les accords.

Les trois titres proposés par le groupe japonais sont d'excellente facture, s'engageant même pour les deux premiers sur des terrains encore peu explorés. Cependant il est à regretter qu'il n'y ait pas vraiment d'unité stylistique entre eux. Chacune de ces chansons doit être appréhendée de façon à part entière, et nous sommes ainsi loin de l'homogénéité des albums dont nous avait pourtant habituée le groupe.

Les deux titres suivants, Hard to reach et The stars that hang above you, de jesu, apparaissent pratiquement similaires, et longs, trop longs (15 minutes pour le premier). La musique de Justin Broadrick s'est considérablement radoucie avec les années, et nous avons l'impression d'avoir affaire là à du Godflesh atteint de narcolepsie. Les nappes synthétiques tissent une texture électro aérienne plutôt réussie, mais sans toutefois atteindre l'originalité et la maestria du premier titre d'envy. Apaisée, la musique de jesu s'étire sans qu'il n'y ait de variation notable au sein de la programmation. Les vocaux sont certes bien amenés, posés, lents, mais n'amènent absolument aucune surprise, et la sérénité éprouvée laisse vite place à l'ennui. jesu nous offre là un travail honnête, mais sans commune mesure avec celui d'envy, bien plus inspiré.

L'intérêt de ce split album passe avant tout, vous l'aurez compris, par la prestation du groupe japonais, dont la musique semble être en nouvelle mutation, se dirigeant toujours plus vers les terres sublimées du post-rock, et semant derrière lui doucement mais sûrement cette rage qui, maintenant cristallisée, a les propriétés de s'émietter et de rendre plus légers les chemins de l'absolution. Les titres du groupe manquent pourtant de cohérence, contrairement aux deux productions de jesu, et c'est tous ces petits défauts qui font de ce split album n'être rien de plus qu'un travail de transition pour les deux formations.

En attendant le prochain split d'envy, en octobre, avec le groupe américain de post-punk hardcore Thursday, sorte de The Cure sous amphéts. Que du bon en perspective, dont nous ne manquerons pas de vous parler sur JaME.
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