Le meilleur album du groupe. 9,5/10
"Je n'ai pu aimer que là où la mort mêlait son souffle à celui de la beauté", cette citation justifie à elle seule la discographie d'un DIR EN GREY, qui cherche dans la mort, dans l'horreur, son amour de la musique. 10 ans de recherche sans compromis, laissant de côté de nombreux fans des débuts, en gagnant d'autres, avec une qualité variant entre hauts et bas. Evolution d'un groupe sans concession, UROBOROS représente un défi de taille pour le groupe après le controversé THE MARROW OF A BONE... Synthèse d'une carrière remplie ; la bande à Kyo livre avec cet album un joyau, un de ces disques qui feront date et qui s'avère, sans nul doute, la pépite de leur discographie. Evolution, remise en question, innovation, qui dans l'abnégation de repousser les limites, trouve enfin une porte de sortie pour un résultat somme toute fantastique.
Disons le clairement, UROBOROS est l'album le plus sombre, le plus noir de toute la discographie de DIR EN GREY. Les deux minutes d'introduction de SA BIR annoncent la couleur, à la fois glaciales et minimalistes, où les vocalises de Kyo sonnent telle une bourrasque de vent froid. Tout est épuré, sombre, même les instrumentations orientales se font malsaines, avant de laisser place à la première piste de l'album, VINUSHKA. Débutant pratiquement a capella, cette piste résume à elle seule tout un album, du long de ses neuf minutes trente. Les longues vocalises laissent alors place, après un sombre pont, à un long couplet derrière lequel l'ambiance se fait trop calme, la noirceur du propos émanant principalement du chant... Le refrain laisse entrevoir l'espoir d'une accalmie avec le retour du chant clair. La piste monte alors crescendo dans la folie avant d'exploser avec violence ! VINUSHKA est tout simplement une des meilleures pistes composées par la formation et s'avère à l'image parfaite de l'album, entre violence et mélodie.
En effet, DIR EN GREY continue à évoluer dans la ligne tracée par son précédent album. Mais là où THE MARROW OF A BONE était un disque spontané, brut de décoffrage dans son approche, UROBOROS lui se pose, autant en terme technique que musical, comme l'album le plus réfléchi et le plus mature du groupe. Les chansons ne sont pas un assemblement de riffs sans saveur mais résultent d'un long processus de composition où le moindre pont, le moindre cri ou bien encore les multiples arrangements sonnent juste. La musique sur cet album sonne enfin comme un résultat unique, sans aucune comparaison possible, à la différence du précédent disque. Mais THE MARROW OF A BONE, malgré son statut de vilain petit canard, avait le mérite d'amener la formation vers de nouvelles terres, de changer encore le son de DIR EN GREY, et permet de mieux comprendre et d'appréhender les sonorités d'UROBOROS qui se pose comme l'apogée de cette évolution.
Plutôt que de faire fi de la brutalité tant reprochée sur leurs précédentes compositions, celle-ci se fait modulée, réfléchie pour mieux ressurgir dans le processus et le rendu émotionnel. Celui-ci n'en est que plus fort, se faisant à la fois terriblement intense et plus sombre, les plages violentes résonnant alors comme une violente attaque, terrassant l'auditeur avec d'autant plus de puissance. Tout comme, dès que l'accalmie se fait sentir, la mélancolie n'en est que plus forte, comme sur WARE YAMI TOTE, et ses sept magistrales minutes, ou encore TOGURO et son chant sublime, où Kyo module sa voix au début tel un récital arabe. Avec cette subtile phrase, je veux en venir à l'un des points essentiel de ce nouvel album. Plus qu'un nom, UROBOROS cache en fait un véritable album concept, aussi bien sur le plan des paroles que de la musique.
En effet, les compositions sont toutes axées autour des mêmes thèmes que ce soit la peur de la mort, ce qu'il y a après la vie, mais aussi de la haine et la violence de l'homme, et de l'éternel recommencement. Au niveau de l'écriture, Kyo s'est surpassé, s'écartant avec brio du précédent album et de ses FUCK FUCK FUCK à outrance, et cela va de pair avec sa remise à niveau vocale. Car si il y a un changement avec THE MARROW OF A BONE, il est bien à mettre à l'actif du chanteur, qui retrouve ici son niveau dans les voix claires, tout en expérimentant au maximum. Vous n'aviez pas apprécié les précédentes brutalités auditives d'un Kyo se faisant hurleur sur AGITATED SCREAMS OF MAGGOTS ? Vous risquerez d'être encore plus troublé par ses cris dignes d'un Donald Duck rappeur sur la plupart des morceaux violent de cet album. Mais ici encore, tout semble réfléchi et les variations nombreuses, ne font que rendre plus appréciable ses incartades vers la folie vocale. L'apport des Death-voices de la part des autres membres du groupe donne alors encore plus d'impact à la violence comme sur RED SOIL où la batterie de Shinya résonne durement, déchainée comme jamais.
Mais c'est surtout d'un point de vue musical tout autant que d'un point de vue conceptuel qu'UROBOROS s'impose comme la pépite du groupe. Le symbole du serpent qui se mord la queue prend ainsi ses racines dans les cultures mésopotamiennes et sumériennes, au berceau de la méditerranée et des cultures arabes. C'est donc logiquement que les sonorités de l'album elles aussi naissent et s'abreuvent de ces lieux. Autant au niveau des sonorités des guitares, que des ajouts d'instruments, tout est fait pour donner un maximum de cohérence musicale à ce nom d'album. Ainsi s'étonne-t-on d'entendre au détour des morceaux des mandolines, ou des violons, quand ce ne sont pas les guitares et les structures rythmiques qui empruntent aux musiques arabes. Et en les réadaptant à son rock, DIR EN GREY, musicalement, frappe un coup énorme. Cette synthèse entre les thèmes et la musique explose sur REIKETSU NARISEBA. Faisant penser à un croisement entre Melechesh et un MR. BUNGLE sous amphétamine, les vocalises totalement hallucinées de Kyo s'allient à la dansante et malsaine violence qui émane de ce morceau !
La musique de cet album en devient imprévisible, tout en étant cohérente. Les changements de genre, que ce soit entre les morceaux ou en leur sein même, se suivent tel un tout homogène avec ce fil directeur musical. Les deux singles étaient d'ailleurs de beaux leurres à ceux qui pensaient revoir le groupe des débuts. Oui DIR EN GREY a évolué, mais a enfin trouvé sa résultante et la conclusion aux recherches entamées sur WITHERING TO DEATH. La technique des musiciens met d'ailleurs en exergue cette faculté à évoluer, à cette recherche du résultat parfait entre la mélodie et la violence du propos de la musique. Chose que recherche depuis ses débuts, quelque soit le style joué, DIR EN GREY. Les guitares de Die et de Kaoru ne se contentent plus de simplement jouer des banals riffs à qui va le plus vite, mais livrent ici des plages monumentales voire parfois presque minimalistes. Le tout s'entrecroise avec la basse de Toshiya que l'on prend enfin plaisir à réentendre après un album passé en base rythmique continue. Celui-ci se fait d'ailleurs plaisir, livrant des lignes vraiment originales et puissantes, comme sur l'explosive et groovy STUCK MAN où son slap fait des ravages. Mais la performance la plus impressionnante du point de vue des musiciens reste le jeu de Shinya sur cet album. Celui-ci livre une prestation totalement hallucinante, habité comme jamais et atteignant un niveau technique d'un très haut niveau. La double exulte, les cymbales explosent au rythme du jeu extrêmement varié du batteur qui livre un véritable récital, tour à tour dansant, groovy, mais surtout, brutal!
On pourrait parler au niveau des défauts d'un point qui reviendra beaucoup pour certaines personnes qui est la réécriture de DOZING GREEN et GLASS SKIN en version anglaise, mais les chansons ne perdent aucunement leur impact émotionnel. Le rendu est juste légèrement différent et perd peut être en intensité sur GLASS SKIN ce qu'il gagne en noirceur sur DOZING GREEN. En bref, le passage à l'anglais est plus que correctement accompli pour ces morceaux qui laissent apprécier l'anglais toujours aussi approximatif de Kyo. L'album se conclût sur INCONVENIENT IDEAL, morceau le plus mélancolique de l'album, certainement le plus doux aussi, conclusion sublime à un album d'une toute aussi grande qualité.
UROBOROS c'est le Kashmir de DIR EN GREY qui aurait bouffé du Death, du black et un brin de Mike Patton. De la folie, de l'imagination, de l'horreur, de la haine et de l'espoir, tel est cet album. Les 12 chansons telles les 12 fructifications de l'arbre de vie, telle l'horloge aux douze cadrans, semblent contenir le temps, le présent, le passé et l'hypothétique futur du groupe. Le serpent qui se mord la queue, représentant le cercle d'une vie, quel autre symbole aurait mieux sied à un groupe dont le principal reproche et la plus grande qualité à été de toujours évoluer en ne faisant totalement fi du passé, de sa noirceur et de ses thèmes. Cercle de dix années de vie musicale dans l'analyse et la mise en avant des bassesses de l'humain. Apogée d'un style, apogée d'un artiste pour lequel il sera difficile d'aller plus loin. Avec un tel nom, DIR EN GREY veut-il indiquer qu'il arrive à la fin d'un cycle, à la fin de sa vie? Ou tel l'UROBOROS égyptien, celui-ci indique-t-il, plus qu'un retour et une prise de vue du passé, une renaissance artistique pour un futur glorieux? Il ne reste plus qu'une chose à faire. Se délecter de cette merveille, et attendre.