Live Report

Live report de Richard Pinhas with Merzbow

15/01/2009 2009-01-15 12:00:00 JaME Auteur : Jerriel

Live report de Richard Pinhas with Merzbow

Quand la noise music se fait voix des anges aux Instants Chavirés de Paris, 12 novembre 2008


© Merzbow
A l'occasion de la sortie de leur album Keio Line il y a quelques mois (dont nous vous parlerons bientôt sur JaME), Richard Pinhas, ami et disciple du philosophe Gilles Deleuze, pionnier en France des musiques rock synthétiques, leader du groupe Heldon, et Merzbow, pseudonyme sous lequel évolue le très prolifique Masami Akita, pape de la scène noise, se donnent rendez-vous le 12 novembre aux Instants Chavirés de Paris pour un concert exceptionnel. Ou plutôt devrais-je dire, devant les Instants Chavirés, étant donné que les deux artistes arrivent le plus simplement du monde et se mêlent à nous, au sein du groupe attendant avec impatience l'entrée dans le sanctuaire. C'est comme nous le voyons dans une ambiance intimiste et chaleureuse qu'ils vont livrer ce soir-là une musique atmosphérique et contrastée aux antipodes des idées reçues sur la sévérité de la noise.

Les portes des Instants Chavirés ouvrent avec un certain retard et c'est dans une salle déjà sombre où résonnent les meurtrières déflagrations sonores de DJ K.OZ que nous pénétrons. Chargé d'ouvrir le bal, Stéphane Zenatti, alias DJ K.OZ, également patron du label indépendant YB70/Ytterbium, est face à un impressionnant catalogue de CD qui sont autant de sources sonores détonantes, explosives, rampantes ou dévalantes, qu'il mixe furieusement. L'installation minimaliste qu'il utilise ne lui permet de brasser qu'environ quatre ou cinq pistes à la fois, pourtant c'est dans un véritable ouragan de sonorités mécaniques que le DJ nous enfonce. Projections de gaz stridentes, pulvérisation de tôles, déchiquètement de ferraille, une tourbe bouillonnante d'éléments rouillés broyés jusqu'à la décomposition se déploie toute entière devant nous dans sa plus stricte rigueur. Stéphane Zenatti est de toute évidence un grand admirateur de Merzbow dont il revisite avec un certain talent la période extrême du début des années 90. C'est tout de même après une heure d'intenses compressions sonores qu'il cède la place à notre duo franco-japonais.

Richard Pinhas est très décontracté et souriant tandis qu'il accorde sa guitare, n'ayant de cesse de lancer des clins d'oeil à ses amis dans le public, alors que Masami Akita reste plutôt impassible, fidèle à lui-même, derrière ses deux ordinateurs Mac dont il lance les programmes. Après un "c'est bon" lancé du côté de la régie et un rapide regard croisé, les deux complices se mettent instantanément à la tâche. Le guitariste s'abandonne complètement à un jeu tout en finesse, fait d'arpèges fugitifs et de denses soli, auquel il accorde quelques instants de silence pour en ordonner les strates à travers l'imposant sampler qui lui fait face. Merzbow enclenche une lente machinerie à la production éthérée, désolidarisée : des nappes sonores qui s'emmêlent dans un bruissement de soie, nous entourent et nous frôlent avec une profonde retenue, à l'extrême antipode des mines disposées par DJ K.OZ qui venaient de barbouiller le sol de cervelle et de cartilage en nous explosant la gueule.

Masami Akita attrape un appareil constitué de feuilles de métal dont il enfile la sangle à la façon d'une guitare et dont il frotte la surface à l'aide de ce qui semble être un aimant, émettant des sons de soufflerie numérique. Les boucles de guitare de Richard Pinhas, aériennes et paraissant dériver au bout de la ficelle d'un cerf-volant, sont bientôt rattrapées à l'aide d'une légère pression, à peine insistante, et appliquent une trace plus marquée dans le champ sonore. L'espace se fait maintenant un brin plus dense, les volutes se solidifient et deviennent des marchepieds de cristal pour la créature merveilleuse lancée par Merzbow, dont les déplacements feutrés résonnent comme un doux battement de coeur, une longue marche qui devient incantation et emporte avec elles nos esprits qu'elle cueille en chemin. Nous nous abandonnons complètement à elle et très vite toute tangibilité disparaît. Nous sommes devenus cet être unique traversant l'espace de ses pas légers, déroulant le cerf-volant, riant aux éclats de le voir virevolter dans l'air, regardant le ciel et les nuages de ces yeux d'enfant innocent où tout paraît démesuré mais apaisant.

Nouvelle contraction sonore, la ficelle de l'objet est lâchée, l'air s'engouffre sans accroc dans une perforation du temps et de l'espace, le battement se fait plus présent, plus dense, nous enveloppe, nous pénètre, nous abreuve. Pulsation aquatique, amniotique. Coeurs qui battent à l'unisson. Qui se nourrissent l'un l'autre via le cordon ombilical brodé par les doigts de Pinhas et d'Akita, extrémités qui continuent de décharger une semence qui féconde leurs réceptacles, machines et instruments, capables de célébrer la vie et l'harmonie.

Regard des deux hommes, la musique stoppe. La poche amniotique se déchire brusquement. Le liquide s'écoule et laisse émerger des spectateurs s'arrachant lentement de leur inconscience. Après quelques instants d'hésitation, nous comprenons que la représentation est terminée tandis que les deux protagonistes se lèvent et se saluent l'un l'autre dans un geste de remerciement. Les applaudissements prolongés qui suivent tentent de rendre compte de l'énorme gratitude que nous éprouvons envers les deux musiciens qui nous ont permis de vivre un pareil moment d'errance et d'évasion, d'introspection, de rêveries quasi-extatiques dans leurs sensations intra-utérines. De bonheur tout simplement.

La musique de Merzbow, au fil des années plus subtile et nuancée, a pu atteindre encore un nouveau stade, n'ayons pas peur des mots, de l'ordre du sublime, à travers cette nouvelle collaboration. Richard Pinhas, malheureusement trop méconnu, est en effet un de ces artistes de génie capable de sublimer ce qu'il touche. La session improvisée qu'il nous a offerte ce soir avec notre manipulateur des sons préféré aurait incontestablement été une magistrale leçon de musique aux indifférents et aux détracteurs de l'ambiant et de la noise, s'ils avaient daigné venir ce soir-là.

Parvenir à annihiler toute forme de mélodie ou de structure, pour ne laisser transparaître que, triomphante et suffisante, la texture du son elle-même, est le challenge permanent de ces musiques. Il faut bien avouer que le duo a trouvé la recette permettant de transfigurer la formule, qui espérons le, ne se retrouvera pas oubliée au fin fond d'un grimoire poussiéreux.
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