datamatics [ver. 2.0.], l'exploration auditive et visuelle de l'univers des données
Vous êtes-vous déjà demandé quels rapports entretenaient l'homme et son environnement avec les data, les données mathématiques ? La plupart d'entre vous répondraient que ces données tiennent une bien mince part dans notre vie, hormis le montant en euros qu'inscrira mémé sur le chèque de Noël ou bien encore le nombre de litres d'eau que M. Dupont doit utiliser pour arroser ses plantes dans le devoir de mathématiques de la veille. Pourtant ce sont bien les data qui permettent d'observer, de décrire, et de rationaliser le monde : la position des astres et planètes dans l'univers, les relevés topographiques, climatiques, la composition du génome d'une espèce animale, etc.
L'abstrait comme le concret, les formes ou les valeurs, sont des données qui peuvent être traitées selon un protocole mathématique. A l'ère du numérique, toute information même qualitative, qu'elle soit textuelle, visuelle ou auditive, se retrouve traitée et ramenée à une suite de données composées de 0 et de 1. Avec datamatics, projet démarré en 2004, le pari de Ryoji Ikeda est d'explorer l'univers de ces données numériques en les "composant" auditivement et visuellement, que ce soit par l'entremise de représentations, d'installations, ou d'enregistrements discographiques. datamatics [ver. 2.0.] est la dernière série en date de concerts audiovisuels liés à cette entreprise, qui prit place au Japon et dans plusieurs pays européens. Les 21 et 22 novembre derniers, ce ne sont pas moins de trois représentations qui eurent lieu au Centre Pompidou de Paris.
L'artiste n'est pas un show-man, il ne chante ni ne joue d'instrument sur scène, et c'est en ramenant la représentation audiovisuelle à sa véritable fonction - donner à écouter et donner à voir - qu'il choisit de projeter une vidéo et de diffuser un enregistrement sonore dont les thèmes et les formes (musicaux et picturaux) sont intrinsèquement liés. Utilisant de véritables data comme sources sonores et picturales - comme la carte du Ciel, ou différentes formules mathématiques -, des représentations abstraites de la matière, de temps et de l'espace se succèdent pendant une heure au cours d'une dizaine de scènes. Constituées de défilements de données numériques en deux dimensions à la vitesse parfois intense et de vues rotatives en trois dimensions, les images sont coordonnées à une hypnotisante mais puissante bande-sonore réduite à son alphabet le plus fondamental : courts signaux, ondes sinusoïdales, bruits blancs... L'ensemble, bien que minimaliste, est véritablement stupéfiant : déroulements ou mouvements giratoires, qu'ils soient fluides ou parsemés d'accidents - l'essence même de l'univers - sont retranscris par des sons et des images composés avec une précision d'une rigueur absolue.
Pendant toute la durée du concert, Ryoji Ikeda nous invite à re-découvrir, à re-visionner et à ré-entendre le monde qui nous entoure, notre environnement direct ou moins proche, à travers ses objets traités de manière numérique, et à nous interroger durablement sur la nature des données qui à la fois traduisent et régissent le monde. La question de la perception sensorielle au sein d'un univers culturel et multimédia global est également l'un des enjeux des avancées techniques et artistiques dans un avenir proche, et c'est en ce sens que l'artiste japonais peut être qualifié de visionnaire, ou tout du moins d'actuel, en réelle prise avec ces interrogations pressantes.
Pour tous ceux que cette exploration de l'univers des données intéresse, sachez que Ryoji Ikeda présente au Laboratoire (4 rue du Bouloi dans le 1er arrondissement de Paris) jusqu'au 12 janvier 2009, une installation conçue avec le mathématicien Benedict Gross, intitulée V≠L, qui aborde la question de l'esthétique du beau et du sublime en mathématiques. Un autre bien intéressant pont jeté entre les champs artistiques et mathématiques.