Live Report

Yaneka et Keisho Ohno sont sur un bateau...

24/02/2009 2009-02-24 12:00:00 JaME Auteur : Jerriel

Yaneka et Keisho Ohno sont sur un bateau...

Pour sa nouvelle tournée européenne, Keisho Ohno passe le 11 février par la péniche La Dame de Canton à Paris, accompagné de Yaneka en première partie


© Keisho Ohno - Yaneka - JaME - Jerriel
La Dame de Canton, véritable jonque chinoise ayant sillonné les océans, maintenant amarrée sur les bords de la Seine, est un cadre vraiment exceptionnel pour assister à un concert, chaleureux et propice à l'évasion. Les roulis du frêle esquif, ordinairement disposés à provoquer de violentes remontées acides et nauséabondes pour les non-initiés, se transforment le temps d'une prestation scénique en un doux bercement facilitant l'immersion dans les univers que suscitent les artistes.

La programmation musicale du 11 février, Yaneka et Keisho Ohno, ces jeunes musiciens de folk légitimement très appréciés en Europe qui réunissent tradition et sonorités modernes, promettait une soirée riche en émotions.

C'est dans une jonque comble que Chiyako et Yuichiro, les frère et soeur membres du groupe Yaneka, se fraient un chemin jusqu'à l'espace aménagé en scène. Leur musique emprunte largement au patrimoine folk scandinave, agrémenté d'une technique de chant protéiforme, où murmures et incantations se mêlent à des envolées vocales aigües et soumises à un trémolo particulier, hérité du naga-uta, chant traditionnel japonais ordinairement accompagné au shamisen. Tandis que Chiyako montre toute l'étendue de son art, Yuichiro alterne guitare classique et électrique, sur lesquelles il applique lui aussi un jeu singulier : cordes frottées ou tapées à l'aide d'un maillet.

Le groupe fait aussi une utilisation savamment mesurée du sampling. Yuichiro tape sur son instrument comme s'il s'agissait d'une percussion, avant d'en repasser le son en boucle, délivrant ainsi un doux battement tribal sur lequel il plaque ses accords. De la même manière, Chiyako enregistre des bribes de chant par la suite répétées qui viennent considérablement enrichir sa performance vocale. Clochettes et même mégaphone font partie de ces autres outils utilisés par le duo pour venir appuyer et confirmer ce son tout à fait original et personnel, situé au carrefour de multiples techniques et influences.

La dimension onirique de la musique s'accroît à mesure que les sens autres que l'audition sont mis à contribution, et c'est un principe de base que semble avoir bien compris Yaneka : la performance donne à voir autant que ce qu'elle donne à entendre. C'est ainsi un véritable plaisir que d'assister aux contorsions de Chiyako, son corps étant littéralement possédé par les divinités païennes dont elle se fait l'écho. Levant tour à tour bras et jambes, puis se recroquevillant et dépliant à nouveau violemment ses membres, elle porte et entraîne son auditoire dans les méandres d'une musique intemporelle, habitée par un animisme ancestral certain restitué dans le contexte contemporain de l'amplification, de le démultiplication et de la délocalisation de l'information - ce que vient confirmer l'utilisation d'instruments tels que le mégaphone ou le sampling. Les esprits de la nature, dont notre duo se fait l'hôte, trouvent ainsi un nouveau champ de célébration actuel et global à travers les moyens mis en oeuvre. Par cette rencontre explosive de la primitivité et du modernisme, Yaneka délivre une musique fascinante et véritablement intelligente, susceptible de toucher le plus grand nombre et à laquelle il est difficile de ne pas succomber.

Le groupe a le potentiel artistique de se produire en France en s'affranchissant des promotions liées aux premières parties d'autres artistes ou aux événements particuliers en relation avec la "culture japonaise", et nous espérons sincèrement qu'il puisse trouver ses marques et s'affirmer au sein d'un contexte lucratif qui fait particulièrement la part belle aux concerts de visual kei.

Mais trêve de réflexions et revenons sur le bon vieux plancher de La Dame de Canton, aussi stable qu'un château gonflable assailli par une cinquantaine de garnements excités qui, eux, n'ont encore jamais fait connaissance avec la nausée. D'autant plus que Keisho Ohno est déjà arrivé, shamisen en main, pimpant dans son kimono ample dont il se débarrassera bientôt de la manche droite - tatouage et pectoral à exhiber obligent.

Bien droit sur son tabouret, concentré, Keisho Ohno accorde son instrument avant d'en laisser échapper une série de mesures dans un style de jeu traditionnel. Tandis que le plectre attaque les cordes, les tapant et les tirant, sa main gauche se promène sur le manche selon un rythme variable. Les gestes parfois retenus, parfois soumis à une rapidité d'exécution assez déconcertante, sont parfaitement réalisés. Le spectacle est de toute beauté et nous évoque bien des songes d'évasion.

Le musicien est bientôt rejoint par ses deux comparses, claviériste et batteur, qui ensemble, vont interpréter une musique détonante différant singulièrement avec ce que nous venons d'entendre. Sur une musique tour à tour house, rock, ou encore jazz, aux structures toujours progressives, Keisho Ohno va troquer l'attitude sage et mesurée du joueur de shamisen traditionnel contre celle de la rock star, et se poser ainsi en véritable icône, celle du shamisen-hero. Les compositions de type moderne ne dénaturent absolument pas les sonorités traditionnelles du shamisen. Au contraire, elles permettent même de mettre l'instrument en valeur de manière inédite, et l'alchimie donne des résultats savoureux.

L'osmose existant entre les musiciens fait des étincelles, et le trio va nous aligner bien des moments de bravoure. Le niveau technique est, disons-le franchement, assez monstrueux (la force de frappe du batteur est digne de celle d'un brontosaure), et changements de rythme, breaks, structures audacieuses, vont venir nous éblouir de manière incessante.

Keisho Ohno est manifestement heureux de se donner pour nous ce soir, et il va nous communiquer son enthousiasme à plusieurs reprises ("je suis con... je suis con... euh... ah oui, je suis content" fera partie des moments inoubliables). Il présente ses musiciens, les laisse s'exprimer chacun de leur côté en solo, annonce les morceaux, nous interprète l'Hymne à l'amour d'Edith Piaf (que c'est beau la France), bref, son enthousiasme paie et nous sommes tout aussi heureux que lui. L'apogée est atteinte lors de l'interprétation du James Bond Theme, impeccablement réalisée, qui met toute l'assemblée en émois. Keisho Ohno se sert de son shamisen comme d'une arme à feu, en mime les détonations lâchées dans un public exalté qui en redemande (car il sait bien qu'il meurt pour de faux). La performance terminée, c'est un tsunami d'applaudissements qui attend le trio, tout de même mesuré, sous peine de se retrouver dans la Seine, et Keisho Ohno revient sur scène avec ses complices pour deux derniers morceaux, avant de s'éclipser définitivement.

La soirée fut véritablement extraordinaire, de par son cadre singulier et la présence de deux groupes exceptionnels qui n'hésitent pas à mêler sonorités traditionnelles et contemporaines pour proposer une musique inspirée et parfaitement réussie. De cette manière, ils peuvent constituer pour les néophytes l'une des meilleures portes d'entrée qu'il soit au milieu de la musique japonaise, et pour les amateurs avertis, confirmer le fait que l'Archipel est encore à même de nous offrir des artistes aux compositions originales et d'une grande qualité, pour peu que l'on daigne y prêter une oreille curieuse.


Setlist Keisho Ohno:
Tosanosunayama
Tsugaru jonkarabushi
Tsugaru aiyabushi
Iwaki
YOAKE
RAN
SORANBUSHI
KYOGETSU
MUJYOU
KAZE
Hymne à l'amour
Inside Out
SAMURAI
James Bond Theme
SEIYA


Encore:
RASEN
JINK


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