Tout d'abord, bonjour et un grand merci à vous de nous accorder cette interview. Nous suivons votre carrière depuis maintenant quelques années et nous sommes très excités par votre venue en France. Pour commencer, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs qui ne vous connaîtraient pas encore ?
Takefumi : Enchanté, nous sommes le groupe
Kicell, formé de deux frères. Je suis le plus âgé. Notre musique est plutôt calme, douce. Nous attachons une grande importance au chant. Nos deux voix se ressemblent d'ailleurs beaucoup et s'accordent parfaitement de manière harmonique. Bien que nos paroles soient en japonais, nous cherchons à faire des mélodies qui soient capables de toucher n'importe qui. Nous composons tous les deux, et le plus important est cette complémentarité qui subsiste entre nous et qui nous permet probablement de nous différencier d'autres groupes qui jouent du même type de musique.
Tomoharu : Il existe tout de même une différence entre ce que je compose et ce que
Takefumi fait. Nos voix respectives comportent également quelques singularités. Ces légères divergences donnent un contrepoint intéressant à notre musique.
Comment vous êtes-vous intéressés à la musique et quel a été votre parcours avant de créer Kicell ?
Takefumi : En ce qui me concerne, j'ai joué dans un groupe de metal avec des camarades de classe, au lycée. Je faisais de la guitare, mais ne chantais pas encore. Puis nous avons créé
Kicell avec
Tomoharu en 1999.
Le metal est tout de même un genre totalement différent de ce que vous faites actuellement. Comment s'est opérée cette évolution ?
Takefumi : Je voulais me mettre au chant, mais je me suis aperçu que le metal n'était définitivement pas un genre qui se prêtait à mon type de voix. Par la suite j'ai emprunté un magnétophone à un ami, puis je me suis mis à expérimenter en faisant des superpositions de ma voix pendant que je m'accompagnais à la guitare. Quand j'ai eu envie de faire du live, je me suis aperçu que le plus simple était finalement de faire appel à mon frère, apte à apporter cette deuxième voix qui me tenait à cœur. C'est comme ça que
Kicell est né.
Votre musique est la plupart du temps mélancolique ou procure la certaine nostalgie d'un ailleurs ou d'un autre temps. Comment vous vient votre inspiration ?
Takefumi : Il est vrai que la nostalgie est un motif important pour moi, que j'essaie de travailler aussi bien au niveau des paroles que de la mélodie. La texture sonore est aussi quelque chose sur lequel je m'attarde. Par exemple, j'aime beaucoup enregistrer les sons environnants, à l'aide de magnétophones. C'est à partir de ces cassettes que je tire une partie de mon inspiration. Une autre vient de mes rêves ou de mes souvenirs d'enfance, ces impressions vagues qui me restent d'une autre époque et qui me font me sentir bien. Je m'imprègne aussi beaucoup des musiques que j'aime, de mes voyages, des différents lieux par où je passe. Finalement, ce qui fait que tout cela fonctionne est que
Tomoharu et moi partageons toutes ces expériences. Nous avons évolué à travers les mêmes paysages et avons les mêmes souvenirs.
Comment se passe l'écriture de vos paroles ?
Takefumi : J'éteins la lumière pour écrire. Je ne suis pas complètement dans le noir non plus, il faut bien que je puisse voir ce que je fais (rires). La plupart du temps nous composons d'abord la mélodie, puis j'insère la demo dans mon baladeur et pense aux paroles, pendant que je suis dans le train, dans le bus, ou que je marche. Généralement je ne peux pas écrire le matin, quand il y a trop de mouvements ou de bruits autour de moi.
Tomoharu, vous jouez également de la scie musicale, qui n'est pas un instrument communément utilisé. D'où vous est venue l'idée d'en inclure les sonorités à vos compositions ? Vouliez-vous faire ressentir quelque chose de particulier ?
Tomoharu : J'ai tout simplement pensé que ce serait intéressant d'en jouer. Le son n'en est pas clair, on y entend une sorte de voix humaine. Je trouve que cela s'intègre bien à la musique de
Kicell. Ce qui m'a surtout plu avec cet instrument est que la manière dont on l'utilise ne demande pas de grande précision, ni beaucoup de pratique (rires). Dans le Kansai, la région de notre enfance, il y a quand même beaucoup de monde qui joue de la scie musicale.
Justement, vous êtes nés et avez grandi à Kyôto, puis vous vous êtes rendus à Tôkyô en 2000. Qu'est-ce qui a motivé votre départ ?
Takefumi : La plupart des maisons de disques de situent à Tôkyô. Nous avons joué environ deux ans dans la région du Kansai, à Kyôto ou Ôsaka. Puis nous avons été invités par une major à nous rendre à Tôkyô. C'était loin et ça allait nous coûter de l'argent de faire sans arrêt des allers-retours, alors nous avons pensé que le mieux était encore de déménager. Il y avait d'autres groupes avec qui nous évoluions à Kyôto, et nous n'avions pas spécialement envie de nous déplacer jusqu'à la capitale, mais bon, il était plus judicieux pour nous de nous y rendre. C'était aussi l'occasion de vivre seul.
En 2005 vous avez été invités par Takashi Murakami à jouer à New York dans le cadre de l'événement Little Boy. Connaissiez-vous l'artiste avant cela ? Comment avez-vous réagi au fait de jouer à l'étranger ?
Takefumi : Une année auparavant,
Takashi Murakami présentait une émission de radio à Tôkyô à laquelle nous avons été invités. Nous avons eu ainsi l'occasion de faire sa connaissance. Nous avons également joué lors de l'une de ses expositions, qui était comme une grande fête. Par la suite, nous avons eu cette opportunité de le suivre à New York. Ce concert était notre première expérience à l'étranger, et nous étions inquiets du fait que nos paroles ne puissent pas être comprises. Nous avons alors pensé à les traduire et à les inclure au programme de l'exposition, bien que nous ne soyons pas très bons en anglais. Mais
Takashi Murakami nous a dit que ce serait très bien comme ça, en japonais. Finalement la réaction du public a été très bonne. Il aurait été intéressant de chanter en anglais, si nous avions eu un peu plus confiance en nous. Mais nous avons pris conscience que la langue utilisée devait rester le japonais. Pour en venir à votre deuxième question, je dirais que la réaction du public à l'étranger est très vive par rapport à celle du public japonais, plus réservé. Nous avons pu sentir que notre musique plaisait grâce à de nombreux retours et cela même en plein milieu d'un morceau, comme les recevrait un groupe de jazz après un solo par exemple. Nous avions l'impression de ne pas faire grand-chose de très stupéfiant sur scène, pourtant les réactions étaient très positives. Nous en étions vraiment très heureux.
Il vous arrive de jouer avec un troisième membre aux claviers, Emerson Kitamura. Quand a-t-il rejoint Kicell ?
Takefumi : Il est arrivé en 2003.
Qu'a-t-il pu apporter à votre musique ?
Takefumi : Nous sommes allés voir des prestations live en solo de
Emerson appelées
Emersolo. Il jouait avec un harmonium et une espèce de vieille boîte à rythmes. J'ai senti que c'était une musique très intime et ai trouvé cela fabuleux. J'ai alors eu envie que l'on joue ensemble.
Kicell officie parfois en tant que duo, parfois en tant que trio, mais je pense que nous parvenons à donner plus de sensibilité à notre musique lorsque nous sommes trois. Quand nous enregistrons en studio, il y a beaucoup d'éléments que nous ne pouvons pas retransmettre en live à deux, et les possibilités deviennent beaucoup plus larges quand
Emerson se joint à nous. Il est parvenu à se fondre au sein de cette complicité qu'est celle ressentie entre deux frères. Il y a tout de même une grande différence d'âge entre
Emerson et nous, ce qui nous permet de le considérer un peu comme notre oncle. C'est quelqu'un de très précieux.
Vous êtes aujourd'hui au programme du Lex à Nîmes. Comment avez-vous obtenu cette opportunité ?
Takefumi : Alors que nous jouions lors d'une soirée à Tôkyô avec
Emerson,
Franck Stofer était dans la salle. Il était en fait venu écouter un autre groupe qui passait également, mais notre musique a dû le toucher car il nous a envoyé plus tard un mail pour nous proposer de participer à la biennale.
Qu'avez-vous alors pensé de cette invitation ?
Takefumi : C'était la première fois que nous entendions parler du Lex. Nous étions vraiment heureux d'obtenir une nouvelle opportunité de jouer à l'étranger.
Tomoharu était déjà venu à Paris une fois auparavant. Il aime beaucoup Paris (rires). Oui, nous sommes heureux d'être venus en France.
Quelles sont vos impressions sur le concert d'hier soir et sur le public français ?
Takefumi : Au début j'étais vraiment stressé. Comme nous devions passer en dernier, je pensais que tout le monde serait venu saoul et aurait fait du tapage. Mais le public nous a vraiment écouté avec calme et nous a fait part de ses réactions, d'une manière toutefois différente de celles que nous avions reçues à New York. Tout le monde m'a même attentivement écouté parler entre chaque morceau. Je pense que les Français sont vraiment des gens charmants (rires).
Projetez-vous de revenir bientôt en France ou en Europe ?
Takefumi : Oui c'est en projet. Hier,
Frank Stofer nous a dit que nous devrions le refaire (rires). Nous comptons sur cette parole. Mais nous voudrions revenir dès qu'une occasion se présente.
Avez-vous de nouvelles ambitions particulières que vous espérez réaliser dans le futur ?
Takefumi : Nous aimerions continuer longtemps à faire de la musique et des concerts, tous les deux, jusqu'à l'âge de 50 ans ou plus. Pour le moment nous avons enregistré cinq albums, et je pense que chaque nouvelle sortie est meilleure que la précédente. Si nous pouvions continuer comme ça encore longtemps, ce serait bien. J'aimerais aussi que l'un de nos titres devienne un hit et que nous n'ayons plus à nous soucier de problèmes d'argent (rires). Mais je pense que ce désir peut s'appliquer à n'importe qui (rires).
JaME remercie chaleureusement
Franck Stofer, le directeur du label
Sonore et directeur artistique du Lex,
Antoine Chosson, l'attaché de presse du Théâtre de Nîmes,
Satoko Fujimoto, notre interprète, et bien sûr
Kicell.
Pour plus d'informations concernant les artistes du Lex, n'hésitez pas à consulter le site de Sonore ici.