Live Report

Festival Villette sonique (Goblin, NISENNENMONDAI & Liquid Liquid)

01/07/2009 2009-07-01 22:00:00 JaME Auteur : Jerriel

Festival Villette sonique (Goblin, NISENNENMONDAI & Liquid Liquid)

La cohabitation des genres pour une soirée exceptionnelle


© Festival Villette sonique
Loin de céder aux commodités d'un battage médiatique qu'autoriseraient des noms à la mode tirés des présentoirs de la Fnac, Villette Sonique ne s'encombre d'aucune attitude consensuelle et embrasse un large spectre des musiques rock, pop, folk, electro, à la jonction de cultures et d'identités diverses. Cette quatrième édition, tenue du 27 au 31 mai, se veut encore plus audacieuse et surprenante, en programmant des groupes et artistes aussi divers que les excités de Lightning Bolt, la star syrienne Omar Souleyman, ou les messies du drone monolithique de SUNN O))).

Le vendredi 29 mai, 3e jour des festivités, l'intemporel groupe de rock progressif italien Goblin, célèbre pour ses bandes-originales de films d'épouvante, le trio rock-noise japonais NISENNENMONDAI, et la formation punk funk américaine Liquid Liquid sont invités à se produire sur la grande scène de la salle Charlie Parker à la Villette. Trois entités essentielles, issues d'époques et d'univers différents, se côtoient ainsi pour notre plus grand plaisir.

Giallo is not dead

Il est des musiciens ou interprètes cultes dont l'admiration populaire et critique est rattachée à un disque, une prestation, ou une attitude. Un nom, un visage ou une oeuvre facilement identifiables, constitutifs du mythe. Et il en est d'autres, toutes considérations de talent mises à part, qui, par un concours de circonstances, se retrouvent à jamais tributaires de l'image d'une autre personnalité ou d'une oeuvre qui n'est pas la leur.

Les Italiens de Goblin font partie de ces derniers, en tant qu'artistes qui n'auront trouvé d'existence et de reconnaissance qu'à travers le cinéma d'exploitation national des années 70 et 80, en composant essentiellement les musiques de films de Dario Argento. Ce soir, le groupe interprète justement les plus grands thèmes musicaux des réalisations du maître du giallo, comme Profondo Rosso, Tenebrae, ou Suspiria, et nous offre dans la foulée celui de l'immense Zombi de George Romero, ou encore d'autres morceaux issus d'albums indépendants.

Ceux qui sont familiers avec la filmographie de Dario Argento savent à quel point la musique de Goblin est constitutive de l'univers baroque qui y est édifié. Voix effrayantes, ritournelles enfantines susurrées et chœurs éthérés, nappes de synthétiseurs aux sonorités gothiques et solos de guitare épiques, sont autant d'éléments qui participent à la surcharge dramatique et esthétique de ces œuvres. L'écran géant sur lequel défile en boucle les scènes "choc" de Profondo Rosso ou de Suspiria, ainsi que les éclats de lumière soudains et (assurément) violents qui déferlent sur la scène et le public, illustrent d'ailleurs avec efficacité l'excès et la grandiloquence qui habitent à la fois la musique du groupe et les films du metteur en scène italien.

Le spectacle est haut en couleurs - c'est le cas de le dire - et véritablement jouissif, et c'est avec une pointe de regret que nous nous résignons à laisser partir le quintette au bout d'une heure et demie d'intenses vibrations. La soirée ne fait cependant que commencer.

Déferlante contrôlée

NISENNENMONDAI est l'un de ces (nombreux) groupes japonais qui ne jouissent que d'une très relative reconnaissance en France, bien qu'il ait tout de même joué aux côtés de grands noms du rock psychédélique ou noise, tels que MELT-BANANA, Acid Mothers Temple, ou même Mike Patton, et que sa réputation sur la scène underground nationale ne soit plus à faire. Formé en 1999, le trio féminin originaire de Tokyo prend pour nom "bug de l'an 2000", et va développer sa musique sur l'un des aspects déterminants de l'identité de nos sociétés contemporaines : la répétition.

Une guitare, une basse, une batterie : le minimum syndical pour un groupe de rock. Et pourtant, les trois filles engendrent un véritable déchaînement sonore via la superposition des thèmes, jusqu'à saturation. Un son aussi anodin que le grincement d'une corde de guitare se retrouve ici répété à l'infini en une boucle dense, générant un motif sur lequel viennent s'ajouter de multiples autres résonances, progressivement. La rythmique ainsi créée n'est pas sans rappeler celle, imperturbable et obsédante, des rave party. Jusqu'au moment où la batterie se met enfin en branle et délivre un flot syncopé de déflagrations de cymbales au groove fracassant. Rock, noise, no wave, disco, la musique de NISENNENMONDAI se fiche des termes, elle brasse dans son réacteur en fusion de multiples ingrédients qu'elle transforme en une nouvelle entité polymorphe et sans nom, malléable au gré des évolutions subtiles des boucles et des rythmes.

Il va sans dire que la démarche sonore jusqu'au-boutiste du groupe peut pleinement s'apprécier en live, à l'instar de celle de nombreux autres projets noise japonais. Mais contrairement à la liberté formelle revendiquée par la plupart de ces mêmes musiciens, les filles de NISENNENMONDAI appuient leurs expérimentations sur la rigidité et le contrôle inébranlable de la structure musicale.

Le public ne s'y trompe d'ailleurs pas, et l'enthousiasme exprimé à l'encontre du groupe n'a rien à envier à celui témoigné quelques instants plus tôt pour Goblin.

Sorcellerie funk

Le troisième et dernier groupe à se produire ce soir est Liquid Liquid, formation post-punk new-yorkaise formée à l'aube des années 80, initiatrice d'un funk DIY au groove dévastateur et culte (d'ailleurs samplé par le pionnier du hip-hop Grandmaster Flash ; comme quoi la filiation n'est pas toujours celle que l'on croit).

Avec un équipement tout entier dédié aux rythmes (une batterie, un set de percussions, une basse ; puis un kazoo occasionnel pour le fun), le groupe va développer une musique aux confluents du punk, du funk et de la dub rappelant quelque peu le Killing Joke des débuts, le tout allègrement baigné dans les musiques ethniques percussives, telles que la bossa nova ou la samba, et autres réjouissances tribales. Le résultat est littéralement époustouflant, tant il est impossible de résister aux rythmiques chaloupées balancées de plein fouet en travers des jambes. Les lignes de basse sautillantes, les percussions saccadées, le chant syncopé subissant de multiples modulations électroniques, sont autant d'armes destinées à nous piéger par le groove ultime de Liquid Liquid et à transformer la salle de concert en un gigantesque dancefloor. Il suffit par la suite d'un morceau où la totalité des membres du groupe use de percussions pour asséner le coup final derrière la nuque aux derniers rares indomptés.

C'est le corps et l'esprit encore frénétiques, sous l'emprise du démon du funk, que nous nous arrachons à la Villette, en espérant pouvoir de nouveau faire de bien belles rencontres lors des prochaines éditions du festival.
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