De la schizo-folie musicale
Parfois, il existe des instants où les mots ne devraient se substituer aux sons, où l’air déjà saturé de bruit devrait être laissé tel quel. Pourtant, nombreux sont ceux qui ne considèrent pas cette « maxime » comme essentielle, ni même digne d’un quelconque intérêt. Il est de ceux en effet qui, bien conscients du bruit général ambiant, trouvent judicieux de manifester leur avis aux oreilles de tous. Et cela non sans bruit. N’oubliant pas de se donner de grands airs de prophètes dont le rôle serait de guider les goûts et les couleurs de la masse, jusqu'au jardin stérile et normatif dans lequel nous nous trouvons déjà. Peut-on raisonnablement couvrir de brouhaha vaniteux et nuisible un environnement déjà emplit d’une multitude de sons, et par la même occasion s’enduire de lubrifiant d'auto-satisfaction ? Cela ne semble pas cohérent à première vue, cependant, il y a une raison toute trouvée à ce genre de comportement.
Car en effet, si aujourd’hui la Musique existe bel et bien, son médiocre « alter ego » est plus souvent présenté à notre ouïe influençable, s'en entichant fréquemment. Relativement étrange il est vrai, que ce genre de chose puisse arriver. Cela dit, il se trouve qu’en y réfléchissant il est aisé d’en trouver la cause. Il n’est pas nécessaire de s’engager dans un discours détaillé sur la chose, car il me semble, non seulement extrêmement cohérent mais également inutile, d'expliquer en quoi la marchandisation de la musique née du coït libéralo-musical est désormais intégrée aux mœurs populaires comme évidence et normalité.
Cependant, bien que cela existe depuis maintenant un certain temps, il reste tout de même assez ardu d’accepter cette mascarade. Et le plus insultant c’est qu’elle s’emploie corps et âme à convaincre les gens que ce qu’elle diffuse est la démocratisation d’une culture accessible à tous alors que ce n’est qu’une diffusion au combien partielle, sélective et vulgaire de celle-ci. Ainsi, dans un cas relativement similaire, Jean Guéhenno disait ceci, synthétisant remarquablement la chose : "la vraie trahison est de suivre le monde comme il va, et d'employer l'esprit à le justifier".
L’incompatibilité avec la notion de culture est évidente, et le rapport de force plus qu’inégal. Cependant, dans cette situation là, bien qu’il y ait une large détérioration du niveau général de la musique, il existe toujours des gens dont la passion musicale dépasse tout intérêt matériel, et qui permettent la sauvegarde d'une véritable qualité musicale.
En effet, au delà du marasme musical ambiant, certains artistes désintéressés composent, non pas « de » la musique, mais « pour » la musique, se mettant à nu devant l'assemblée avec pour seul moyen d'expression, leurs instruments et leur tête, en offrant par la même occasion un travail mûr, précis, abouti. C'est ainsi que l'on pourrait qualifier, très partiellement mais en premier lieu, le travail du groupe downy.
Parcelles d'un Univers spirituel
downy, ce n'est pas seulement un nom, derrière lequel se cachent des musiciens talentueux, c'est également et principalement un univers puissant, mystérieux, éclectique. Une liste de nombreux qualificatifs pourrait être établie sans que cela suffise à pouvoir expliquer le plus fidèlement possible ce que représente ce groupe, et se lancer dans une telle tâche est en même temps compliqué, hypocrite mais au combien nécessaire.
Le projet downy s'est en quelque sorte imposé de lui même aux esprits, sa création s'étant officialisée au terme d'une session d'improvisation organisée par Robin Aoki en avril 2000, et dans lequel les membres restèrent jusqu'à leur mise en pause en 2004. Composé de cinq personnes, downy intègre en tant que membre officiel un « producteur d'images » dont le rôle consiste à créer un univers esthétique, en parallèle avec les musiciens, correspondant aux thèmes abordés et à la musique composée. En somme, son rôle est fondamental dans l'élaboration même du morceau et ce travail, effectué parallèlement à la composition musicale, doit être considéré comme un instrument à part entière, sans lequel l'univers downy resterait incomplet.
L'univers downy se situe donc bien au delà de la simple échelle musicale. En effet, au regard des autres projets menés ensuite par les différents membres, on constate qu'une telle ampleur, ne se retrouve plus. En somme, downy n'est pas qu'une association d'individualité(s) hasardeuse mais bien une philosophie particulière de la musique et de l'esprit, développée collectivement, et aboutissant sur un projet, j'ose le dire, unique.
Cela peut paraître présomptueux il est vrai de s'avancer de la sorte, cependant, je vais m'atteler maintenant à démontrer que ce ne sont pas que des paroles en l'air ou des fastes superflus. Ce en quoi downy est unique vient principalement d'un jugement subjectif (pléonasme?) concernant l'approche musicale supposée, mais pourtant évidente, de ses membres. Effectivement, aucun élément concret n'est là pour confirmer de manière officielle ce que je vais argumenter, mais malgré tout, j'avance serein.
L'Éloge du Silence
J'avais tout d'abord pensé dissocier les parties musicales et spirituelles pour offrir un aperçu assez détaillé et fractionné de ce qu'est downy, mais finalement je me suis rendu compte que l'un sans l'autre, il me serait difficile d'avoir une certaine cohérence ou même simplement, de pouvoir tenir un raisonnement correct et sensé. J'ai donc décidé de laisser les choses telles qu'elles sont chez downy, liées.
Pour commencer, downy est un groupe à l'approche musicale différente. En effet, il ne peut voir la composition d'un morceau, complète, si l'univers créé et développé pendant l'écriture de la partie musicale n'est pas transposé à travers une série d'images et d'effets de lumières. downy est très probablement un des seuls groupes qui refuse tout jeu de lumière traditionnel en jouant dans le noir et en projetant en concert, sur un drap blanc tendu derrière les musiciens, des vidéos créées pour chaque chanson. Cet esprit « anticonformiste », à bien différencier de l'anticonformisme basique de principe, se manifeste d'autres manières par le fait notamment qu'aucun de leurs albums ne soit nommé. Ils portent tous le nom de « mudai » qui signifie « sans titre » et ne se différencient uniquement que par leur pochette et le numéro qu'on leur attribue (1st, 2nd, 3rd and 4th). Extrêmement productive, mais également malheureusement brève, leur carrière courte de quatre ans vit chaque année sortir un nouvel album plus évolué et, si ce n'est plus abouti, au moins différent.
Nous en venons donc sans transition mais presque naturellement, à parler purement et simplement de la musique que crée downy. Et c'est probablement l'aspect le plus compliqué à aborder car bien sûr, la musique est affaire de sons. Cependant, j'essaierais d'être le plus fidèle possible.
Tout d'abord, downy est un groupe hybride de la musique car il est impossible de le ranger dans telle ou telle catégorie sans foirer son analyse et ne le décrire que partiellement. En effet, concrètement et techniquement parlant, downy c'est le minimalisme du post-punk associé aux effets de guitare du shoegaze, à l'ambiance générale du post-rock et à la conception musicale de l'expérimental. Cependant, si il y a un mot qui pourrait englober ce groupe, ce serait bien celui de « minimalisme ». Car il est adapté non seulement à la musique, mais aussi à l'esprit « downy » : épuré, essentiel, nécessaire. downy n'en fait jamais trop, et c'est d'ailleurs là que se trouve la force du groupe, c'est qu'à travers un morceau désossé, une mélodie sommaire, une simplicité apparente, et un rythme répétitif, enivrant, il arrive autant à nous toucher. La batterie d'Akiyama Takahiko nous offre tantôt un rythme varié et riche, tantôt une boîte à rythme millimétrée sans aucune surprise prouvant une fois de plus que leur minimalisme n'est pas là en tant que cache misère mais plutôt posé là en tant que concept.
On peut constater la même chose dans le jeu du bassiste Nakamata Kazuhiro qui alterne entre lignes de basses épurées, profondes, énergiques et aériennes décidant à sa guise s'il mène le morceau ou pas. Chez downy, chaque instrument à en effet sa place, la voix n'étant donc utilisée que comme un énième moyen de composer et dont la performance importe peu, démontrant définitivement que ce minimalisme est bien tout sauf une façade.
L'Obsession Lunaire
Au cours de ces quatre années trop brèves au final, chaque album aura permit à downy une évolution, tout en restant fidèle à son univers et sa vision de la musique, chose assez rare par les temps qui courent. Au fur et à mesure que les pistes paraissent au cours de leur carrière, on constate la récurrence de thèmes particuliers et, semble t-il, chers à cet univers comme celui notamment de la Lune. Je ne serais pas de ceux qui interpréteront à leur guise chaque titre de chanson, y trouvant des références mystiques, des messages secrets ou une spiritualité jamais égalée. En revanche je serais de ceux qui prônent l'ouverture totale de l'esprit à la musique, comme un mouvement vers l'avant, une démarche d'abandon total aux sons qui nous emplissent. Depuis peu, je ne peux plus voir la musique autrement, et cela tombe remarquablement bien, car on ne peut comprendre downy sans être dans un tel état d'esprit, et nombreux sont ceux qui malheureusement passeront à coté de ce groupe sans saisir son ampleur. Ainsi, ce thème lunaire prépondérant chez downy prendra tout son ampleur dans une situation d'oubli de l'extérieur, comme si l'on se trouvait dans l'atmosphère silencieuse de la Lune, au milieu du vide. Voilà où se trouve l'interprétation personnelle que j'avance, pour moi downy adore l'idole de la Lune comme lieu de silence complet où la musique minimale, et donc la leur, prendrait tout son sens.
Vous pouvez bien croire que ce ne sont que métaphores et images inutiles, seulement, je ne suis pas de ceux qui utilisent les mots comme des guirlandes festives colorées, pour embellir leur sapin de Noël avachi et dénudé, si je parle de cette façon c'est que j'ai vécu cette expérience et que je n'en suis pas ressorti indemne.